L'Orchésographie, de Thoinot Arbeau (ca 1588) PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Administrator   
Mardi, 20 Janvier 2015 09:40

L'Orchésographie de Thoinot Arbeau (Langres, 1588) est sans doute la plus ancienne source publiée donnant dans le détail des partitions quasiment spécialement dédiées au flûtet (comme "Jouyssance vous donnerai"), de surcroît avec batterie notée :

"Capriol.

Fault-il necessairement qu'és pavanes & basse-dances le tabourin & la flutte y soient employez ?

Arbeau.

Non qui ne veult: Car on les peult jouer avec violons, espinettes, fluttes traverses & à neuf trouz, haulbois, & toutes sortes d'instruments: Voires chanter avec les voix: Mais le tabourin ayde merveilleusement par ses mesures uniformes à faire les assiettes des pieds selon la disposition requise pour les mouvements."

 

 

 

De plus, l'auteur présente dans le détail, à travers un dialogue, plusieurs instruments de la Renaissance, dont le flûtet de son époque, et donne des éléments de tablature.

 

Il n'est pas anodin de noter que ces informations musicologiques sont issues d'un traité de danse.

 

Lien vers le fac-simile de l'Orchesographie de Thoinot Arbeau

 

"Capriol.

[...]M'enseignez que cest de la dance recreative.

Arbeau.

Il vous fault premierement premectre qu'à la similitude du tambour, duquel nous avons parlé cy dessus, on en a faict ung petit que l'on appelle tabourin à main, long d'environ deux petits piedz & un pied de diametre, que Ysidorus appelle moityé de Simphonie, sur les fonds & peaulx duquel on colloque des fillets retors, en lieu qu'au grand tambour on y mect sur le diametre de l'ung des fonds seulement un double cordeau.

Capriol.

De quoy servent ces fillets retors?

Arbeau.

Ilz sont cause que quant le tabourin est battu d'ung batonnet, ou avec les doigts, le son dudict tabourin est stridule & tremblotant.

Capriol.

Symphonie, cest à dire consonance, & non pas un tabourin.

Arbeau.

A la verité, ce mot grec de Symphonia est à dire consonance, & de ce mot sont appellez les Musiciens Symphoniaques: Mais il n'est pas impertinent, que le tabourin ait receu ceste denomination d'estre comprins soubz le nom de Symphonie, parce qu'il est accompaigné ordinairement d'ung ou plusieurs aultres Instruments musicaux, avec lesquels il convient, & leur donne grace servant de Base & Disdiapason à tous accords, c'est vraysemblablement, celuy duquel on usoit avec l'instrument appellé Chorus, pour rendre louange à Dieu en resjoyssance, & dont parle le S. Prophete royal, quand il dit: Laudate Dominum in tympano & choro[g] : En Sainct Luc 15 le filz aisné du pere de famille fut indigné quand il sceut que pour la bien venue de son frere, l'on faisoit grand chere avec le veau gras & la Symphonie & le Chorus. Daniel recite en son 3. Chap. que Nabuchodonosor fit crier que chacun adorast sa statue, si tost que l'on orroit jouer la flutte le haubois, la sacqueboutte, la harpe, le psalterion, la Symphonie & autres instruments musicaux.

Capriol.

J'eusse interpreté ce mot de Chorus pour une compagnie de danceurs.

Arbeau.

Jay veu la figure dudict instrument Chorus en un livre ou tous les Instruments sont descripts, & estoit joinct avec la Symphonie ou tabourin, comme maintenant on y joinct la flutte ou grand Tibie. Les Basques & Bearnois usent d'ung aultre tabourin qu'ils tiennent surpendu à la main gauche & le touchent avec les doigts de la main droicte, le bois est seulement creux de demypied, & les peaulx d'un petit pied de diametre, & est environné de sonnettes & petites pieces de cuyvre, rendants un bruict aggreable & non affreux, comme celuy grand que descript Suidas remply de clochettes, duquel usoient ceulx des Indes en leurs batailles. Quant à nostre tabourin, nous ny [page 0047] mettons point de sonnettes, & l'accompagnons ordinairement d'une longue flutte ou grand tibie: Et de ladicte flutte le joueur chante toutes chansons que bon luy semble, la tenant avec la main du bras gauche, duquel il soustient le tabourin.

tabourin flute

 

Capriol.

Est-il possible qu'il puisse faire sonner une chanson avec sa main gauche seulle: Je ne le puis croire, car je suis assez empesché de treuver tant de voix diverses avec mes deux mains sur une flutte à neuf trouz, & aussi il me semble impossible de jouer & la tenir d'une mesme main.

Arbeau.

Le bout pres la lumiere est soustenu dans la bouche du Joueur, & le bout d'embas est soustenu entre le doigt auriculaire & le doig medicin, & oultre ce afin qu'elle ne coule hors la main du Joueur, il y a une esguillette au bas de ladicte flutte ou se met ledict medicin pour l'angaiger & la soustenir, & n'a que trois pertuis, deux devant, & ung derrier, & est admirablement inventee, car du doig demonstrant & du doig du meillieu qui touchent sur les deux pertuis devant & du poulce qui touche sur le pertuis derrier, tous les tons & voix de la game [page 0048] s'y treuvent facilement.

Capriol.

C'est donc ung secret que j'apprendrois voluntiers en passant chemin, puis je vous remettray en propos.

Arbeau.

Vous debvez sçavoir que les tubes ou tuyaulx qui sont haults & longs, & ont la lumiere basse & estroicte comme est la flutte de question, saultent facilement & naturellement à leur quinte quant ilz sont soufflez un peu plus fort: Et si on les souffle encor plus fort, ils montent à l'octave: De façon que quant la longue flutte est soufflee doulcement & tous les pertuis sont bouchez, supposé qu'elle sonne G ut, si on ouvre le premier pertuis que bouche le doigt mediant, elle sonnera A re, si on ouvre encor le deuxieme pertuis que bouche l'index, elle sonnera B my, & si on ouvre le troisieme pertuis qui est derrier que bouche le poulce, elle sonnera C fa ut: Aprez cela, le tout estant bien bouché, soufflant un peu plus fort, elle saulte à la quinte & sonne D sol re: Avec ce mesme vent, si le mediant est levé, elle sonnera E la my, & le demonstrant levé aprez, elle sonnera F fa ut: Ce faict, en levant le poulce, elle sonnera G sol re ut, & ainsi continuant & levant les doigs, & donnant le vent fort comme il appartient, on y treuve plusieurs gradations de voix.

Capriol.

Vous faictes ceste octave de G sol re ut sur l'ouverture du poulce, donc en fermant tout, ce debvroit estre A la mi re.

Arbeau.

Le tout bouché sonne l'octave aussi, a cause de la naturelle disposition de ceste sorte de flutte, qui saulte toute bouchée à la quinte, puis à l'octave.

[...]

Arbeau.

Le tabourin accompaigné de la flutte longue entre aultres instruments, estoit du temps de nos peres emploié pource qu'un seul joueur suffisoit à mener des deux ensemble, & faisoient la symphonie & accordance entiere sans qu'il fust besoing de faire plus grand despence, & d'avoir plusieurs aultres joueurs comme violons, & semblables, maintenant il n'est pas si petit manouvrier qui ne veuille a ses nopces avoir les haulbois & saqueboutes. Lors on dançoit plusieurs sortes de dances recreatives."

 

Jean-Baptiste Giai

Mise à jour le Mardi, 20 Janvier 2015 11:12